Benoît Jean-Claude psychiatre

Hommage à Jean-Claude Benoit

par Guy Ausloos

https://www.editions-eres.com/uploads/documents/Hommages/Jean_Claude_Benoit_revu_CL.pdf
Près de quarante ans que j’ai eu l’honneur et le plaisir de connaître Jean- Claude ! C’était lors des premières Journées de Lyon, organisées à la fin des années 1970 par Yves Colas. Jean-Claude était un participant de la première heure. Il avait découvert la thérapie familiale et l’approche systémique lors de séminaires animés par Jacqueline Prud’homme, dans un petit groupe rassemblé par Jacques Rudrauf.

Psychiatre des Hôpitaux, il a dirigé de 1970 à 1994 un service de psychiatrie publique sectorisé avec ses unités d’hospitalisation à Villejuif et un dispensaire de ville – centre médico-psychologique – pour patients adultes. C’est dans ce cadre qu’il découvrit l’importance de la famille dans les soins psychiatriques. Il aimait à raconter une de ses découvertes : un patient schizophrène semblait totalement isolé et n’évoluait pas, mais il se rendait chaque week-end au bout du jardin de l’hôpital. Personne ne savait pourquoi jusqu’à ce qu’on se décide à le suivre. C’est là qu’on découvrit qu’il y rencontrait des membres de sa famille. Un entretien familial fut proposé et fut le départ d’une évolution pour le patient. Il faut se rappeler combien était innovateur en France dans les années 1970 de rencontrer les familles. Mais Jean-Claude avait toujours été à l’affût de nouveaux moyens pour aider ses patients, comme en témoigne son intérêt pour l’épreuve d’anticipation et la fonction imageante de Mario Berta (Benoit et Berta, 1973) et pour le rêve éveillé dirigé de Robert Desoille (2000).

Lors de ces premières Journées, Yves Colas et moi-même caressions l’idée de créer une revue francophone de thérapie familiale et Jean-Claude se joignit à nous, une aide précieuse puisqu’il avait l’expérience d’une revue et assumait le secrétariat des Annales de psychothérapie, éditées par ESF. Il y dirigea en 1980 Changements systémiques en thérapie familiale, un ouvrage princeps en français dans le domaine des thérapies familiales. Son équipe avait déjà fait paraître, chez le même éditeur, Des entretiens collectifs aux thérapies familiales en psychiatrie de secteur, en 1979 (Daigremont et coll.).

Quand Jean-Jacques Eisenring nous informa que Pierre-Yves Balavoine, fondateur et directeur du groupe Médecine et Hygiène de Genève, acceptait de se lancer dans l’aventure de l’édition d’une revue consacrée à la thérapie familiale, il était évident que Jean-Claude Benoit devait faire partie du comité de rédaction, auquel se joignit Léon Cassiers. Que de belles années de collaboration pour cette petite équipe de rédaction. Jean-Claude était le sage qui savait nous convaincre de prendre une orientation, d’accepter ou aussi de refuser un manuscrit. Toujours calme et discret, il apportait des avis pertinents qui ont été autant de pierres qui ont permis de bâtir la revue.

Ayant quitté le secrétariat des Annales chez ESF, il proposa aux Éditions érès, à Toulouse, une collaboration avec la revue Thérapie familiale pour lancer la collection « Relations » consacrée à l’approche familio-systémique, comme il aimait à l’appeler, et en prit la direction. Cette collection est une belle réussite puisque à ce jour elle compte une cinquantaine d’ouvrages qui ont favorisé l’éclosion de la thérapie familiale systémique en langue française. Avec l’énergie et la compétence qu’on lui connaît, Marie-Christine Cabié a repris la direction de cette collection depuis bientôt dix ans.

Comme directeur de la collection, Jean-Claude fut vraiment très actif, cherchant des auteurs et surtout les aidant à parachever leur manuscrit pour préparer la publication. Ma propre expérience est là pour en témoigner. Comme il le rapporte dans sa préface à mon livre La compétence des familles (Ausloos, 1995), il était très motivé à me convaincre d’écrire un livre. Il me propose un rendez-vous au Train bleu de la gare de Lyon. Je suis grippé. Comme il le dit : « La maladie l’oblige à m’écouter. Sa fièvre physique atténue sa fièvre mentale et j’ai le sentiment un peu honteux de profiter d’un état propice à tous les engagements. » Sans son insistance, je n’aurais sans doute pas écrit mon livre. Mais son intervention ne s’arrêta pas là : pour m’aider à peaufiner mon texte, il m’invita à passer deux jours chez lui, à Versailles, et il écrivit une fort belle préface. Il écrivit d’ailleurs de nombreuses préfaces et d’autres auteurs m’ont dit également qu’il les avait soutenus et presque portés jusqu’à la publication.
Son intérêt pour les patients atteints de schizophrénie et pour leurs familles (Benoit, 1992 et 1995) lui fit découvrir la théorie du double lien (Benoit, 1981 et 2000) et son auteur, Gregory Bateson (Benoit, 2004 et 2009). On peut dire sans se tromper qu’il est un des meilleurs connaisseurs, commentateurs et diffuseurs de l’œuvre de Bateson. Il a appliqué cliniquement ce que Bateson proposait théoriquement comme anthropologue. Il encouragea et soutint aussi Robert Pauzé pour écrire son livre sur Bateson (Pauzé, 1996).

Outre son travail de clinicien et son intense et remarquable activité en tant qu’auteur, éditeur et préfacier, Jean-Claude Benoit était formateur au sein de l’Institut d’étude des systèmes familiaux, structure d’intervention et de formation qu’il avait fondée avec Jacques Beaujean et dont faisaient partie Brigitte Waternaux, actuellement rédactrice en chef de Thérapie familiale, et Ignacio Garcia-Orad, membre du comité de rédaction. Ces derniers sont encore une fois les continuateurs d’un élan impulsé par Jean-Claude.

Il faut enfin mentionner le remarquable Dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques (Benoit et coll., 1988), un ouvrage de référence indispensable pour qui s’intéresse aux thérapies familiales. Réunir près d’une cinquantaine d’auteurs, qui ont écrit plus de cinq cents articles, et agencer ce
dictionnaire représentent un travail considérable que Jean-Claude a mené à bien avec Jacques-Antoine Malarewicz, et la collaboration de Jacques Beaujean, Yves Colas et Serge Kannas ainsi que d’une cinquantaine de contributeurs.
Après cet hommage, il me reste à présenter mes très sincères condoléances au docteur Odile Benoit, sa conjointe, qui l’a épaulé pendant tant d’années, et à leurs enfants.

BIBLIOGRAPHIE

AUSLOOS, G. 1995. La compétence des familles. Temps, chaos, processus, Toulouse, érès, coll. « Relations », nouvelle édition 2017.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. ; BERTA, M. 1973. L’activation psychothérapique, Bruxelles, Dessart-Mardaga.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. (sous la direction de). 1980. Changements systémiques en thérapie familiale, Paris, ESF.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 1981. Les doubles liens, Paris, Puf.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 1982. L’équipe dans la crise psychiatrique, Paris, ESF.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 1984. Les théories systémiques et la thérapeutique institutionnelle, Paris, Masson.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 1986. La désaliénation systémique, Paris, ESF.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. ; MALAREWICZ, J.-A. (en coll. avec BEAUJEAN, J., COLAS, Y., KANNAS, S.). 1988. Dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques, Paris, ESF.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 1992. Patients, familles et soignants. La recherche d’un système institutionnel en psychiatrie, Toulouse, érès, coll. « Relations », nouvelle édition 2003.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 1995. Le traitement des désordres familiaux, Paris, Dunod. BENOIT, J.-C. 2000. Double lien, schizophrénie et croissance, Toulouse, érès, coll. « Relations », nouvelle édition 2005.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 2004. Gregory Bateson, la crise des écosystèmes humains, Genève, Georg.Retour ligne automatique
BENOIT, J.-C. 2009. Bateson : la genèse des thérapies familiales, Toulouse, érès, coll. « Relations ».Retour ligne automatique
DAIGREMONT, A. ; GUITTON-COHEN ADAD, C. ; RABEAU, B. 1979. Des entretiens collectifs aux thérapies familiales en psychiatrie de secteur, Paris, ESF. DESOILLE, R. 2000. Le rêve éveillé dirigé, Toulouse, érès.Retour ligne automatique
PAUZE, R. 1996. Gregory Bateson, itinéraire d’un chercheur, Toulouse, érès, coll. « Relations ».

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