L’EXPERIENCE DE LA CREATION DU DEPARTEMENT DE GERONTOPSYCHIATRIE DU CENTRE HOSPITALIER DES PYRENEES Guillaumot, Ph. . Séminaire Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale, 8 et 9 juin 2006, non publié.

Docteur Philippe GUILLAUMOT – Psychiatre Responsable du Département de Gérontopsychiatrie du Centre Hospitalier des Pyrénées à Pau (64000).

Ce texte a été écrit grâce à la collaboration de Mesdames A.M Gassie et F. Puyoulet (cadres de santé en gérontopsychiatrie), Mesdames M.O Dupont, A. Loubet, G. Solomud, J. Hinfray (infirmières de soins gérontopsychiatriques), Madame A. Macua (infirmière de soins gérontopsychiatriques, retraitée), Madame
M.C Peyre (ancien cadre de santé en gérontopsychiatrie, Madame M. Lageyre (Assistante Sociale du CLIC de Pau), Madame C. Darrou (pour les Assistantes Sociales, spécialisées personnes âgées du CCAS de Pau).

Pour Chantal et Lucette

1985 – 1988 : contexte négatif de l’émergence de ce projet

 Un secteur adulte de psychiatrie publique principalement urbain à forte densité de clientèle de personnes âgées, -Sur l’hôpital, à peu près 20 % des lits sont occupés par des personnes âgées (soit environ 120 lits),

 Une sensibilité à ce problème (dans ce secteur) avec des actions qui ne sont pas pérennisées :

  • consultations en gériatrie du Centre Hospitalier Général, voisin
  • une unité de gérontopsychiatrie au Centre Hospitalier d’Oloron, brutalement fermée pour des raisons non élucidées,
    (peut être des initiatives identiques dans d’autres secteurs, en particulier quelques consultations polyvalentes de secteur).

 Un recours prépondérant à l’hospitalisation temps plein pour les personnes âgées avec un aspect multifonctionnel : contention, exclusion abandon, protection, soins pour des « vieillards perturbateurs ».

 Des malades, autant malades de leur malaise, que symptômes d’une perte de tolérance du milieu où ils vivent, pour des raisons multiples.
Déjà, ces patients nous parlent des différents acteurs du réseau et de leur positionnement à son égard et à l’égard de la psychiatrie publique, à qui on s’adresse le plus souvent « quand on ne sait plus quoi faire », mais dit sous la forme « il n’y a plus rien à faire ».

 Un contexte avec des rapports inexistants, difficiles, ou non souhaités, avec la gériatrie naissante, symbolisée par le souvenir collectif de la « charrette gériatrique » du vendredi soir, faite de nombreux patients indésirables en milieu somatique et considérés comme turbulents.

 Un discours prédominant des différentes maisons de retraite locales qui rappellent que leur mission n’est pas d’accueillir de tels patients dépendants psychiques, trop perturbants pour les autres résidents, et pour lesquels elles estiment n’avoir ni savoir-faire suffisant, ni personnel adéquat. Elles ne veulent qu’accueillir des personnes âgées encore autonomes, en relative bonne santé, désirant rompre leur solitude. On sait ce qu’il adviendra de cette vision.

 C’est encore trop souvent ce fameux malade « en aller simple », qui s’est raréfié mais n’a pas totalement disparu. C’est une violence à l’égard d’un patient renvoyé de son domicile ou d’une institution, dont on ne veut plus savoir ce qu’il adviendra de lui, avec le secret espoir qu’il disparaisse dans l’institution psychiatrique (prise en otage au passage) conçue comme les « trous noirs » de la stratosphère.

 On peut considérer que l’admission de ces vieillards est aussi l’expression d’un questionnement d’une solidarité collective qui se cherche. Ici, il s’agit de la gratuité de l’hospitalisation pour la famille, bien avant l’introduction du forfait hospitalier. Ainsi, pour une large part, la situation de l’époque est un peu celle d’un « long séjour » qui ne dirait pas son nom, avec des flux très minimes de malades. Mais un « long séjour » avec les ratios de personnel d’un court séjour. Cela nous faisait dire à l’époque qu’avec cette densité de personnel nous n’étions pas très bons, et que l’on pouvait faire beaucoup mieux dans les soins pour eux.

 Ce qui était constaté et questionnait les équipes infirmières était la fréquence de l’abandon ou de l’absence des familles : soit absence réelle, ce qui a pu favoriser l’anonymat d’une telle exclusion, soit absence par peur de la psychiatrie, telle qu’elle est, telle qu’elle continue à se montrer. Nous découvrirons aussi toute la problématique familiale autour de l’échec, de la culpabilité de n’avoir pu garder et protéger son parent jusqu’au bout, de la honte et/ou de l’insupportable d’un parent tellement transformé qu’on ne le reconnaît plus et qu’on préfère l’éviter, ou tenter de façon infructueuse de l’oublier.

Ces patients questionnent nos limites de tolérance et d’intolérance, y compris à l’intérieur de l’institution, et il faudra s’en souvenir. Ces mécanismes d’exclusion restent en permanence actifs au sein de nos institutions et de nous-mêmes.

Que constate-t-on ?

 Des pavillons de vieillards largement laissés à l’abandon par les psychiatres.

Ils y pratiquent souvent, faute de temps (déjà) et d’intérêt, une psychiatrie que nous appellerons « électorale » : celle du passage rapide où l’on serre les mains du personnel et de quelques malades, laissant à de jeunes internes (il y en avait encore à cette époque) le soin de régler les affaires courantes : fièvre, pneumopathies, infections urinaires, agitation, …

Ces malades posent la question de l’articulation à l’organicité que la prédominance de la vision psychanalytique de l’époque n’aide pas à penser. Tout se passe comme si la présence de ces patients « déments » réputés incurables faisait douter toute l’institution, fascinée par son espoir de soin aux « vrais » malades, les patients psychotiques, qui dorénavant ne devraient plus séjourner longtemps en hospitalisation.

 Donc essentiellement des pavillons abandonnés aux équipes infirmières confrontées à un mandat paradoxal bien connu dans l’institution, que l’on pourrait résumer en simplifiant par : « soignez les et gardez les, mais nous savons qu’ils ne peuvent pas guérir », formule qu’avait mise en valeur Y. COLAS [1] [2] [3]

Il n’est pas rare que certaines unités puissent jouer une fonction de punition pour les personnels indésirables, ou en difficulté de santé. Parfois, ce sont des patients psychiatriques jeunes, qui y sont momentanément « enfermés », pour « leur apprendre ».

Lors des débats de l’époque a émergé l’expression d’une maltraitance possible, qui est devenue pour une partie d’entre nous insupportable. Il est rapporté l’insuffisance de respect de la dignité dans certaines toilettes, sous forme de douches collectives. Il y a eu l’interdiction des siestes régulières, réputées empêcher de dormir la nuit … Il y a eu la visite dissuasive pour les familles des pavillons pour handicapés profonds afin qu’elles renoncent à y faire admettre leur malade. Il y a eu …

A posteriori, on s’aperçoit ainsi que « l’institution psychiatrique » a d’abord utilisé ces vieillards comme « otages ».

C’est l’époque du financement des hôpitaux par le prix de journée qui favorise l’inflation des hospitalisations permettant de maintenir un niveau budgétaire suffisant pour maintenir l’emploi et embaucher. Pour une bonne part, les effectifs actuels de la psychiatrie ont été permis grâce à une modulation des entrées et des sorties de ces personnes âgées, sorte de variable d’ajustement.

Les plus révoltés d’entre nous l’ont interprétée comme une pratique qu’ils ont intitulée « charters », où la durée de séjour et les motifs d’admission des patients âgés n’avaient pas vraiment de rapport avec leur problématique de santé mais avec la nécessité du moment de garder des « lits remplis ».

Ce n’est pas sans raison que ce projet a subi d’abord l’hostilité d’un certain nombre de responsables administratifs et syndicaux, qui y voyaient un risque de « faillite », jugée irrémédiable si l’on avait moins recours aux soins par hospitalisations temps plein.

On comprendra alors qu’au moins pour certains d’entre eux un questionnement infirmier se fait de plus en plus prégnant.

Dans ce contexte, nous rencontrons comme une révélation un texte de L. PLOTON, Lyon [4]
 [5]
 [6] qui s’intitule : « La souffrance des soignants en gériatrie ». Nos vécus des pratiques de l’époque y sont bien développés, soit la discordance entre l’idéal soignant et les obligations d’une pratique qui en sont fort éloignées. La confrontation au vieillard déchu en regard du vieillard idéal qui nous habite. La fonction parentale du soin à cet âge et la rencontre des rapports de pouvoir incontournables avec le patient dépendant. Bien sur la mort, en tiers permanent, mais aussi la mort réalité omniprésente. Enfin, la résurgence fréquente dans ces équipes d’un vécu d’abandon.

Peut être s’est faite la prise de conscience qu’il n’est pas nécessaire de souffrir au travail. Mais il est sans doute naturel que cette question se pose souvent dans le côtoiement des patients si proches de la mort et d’évidence si peu guérissables. Comment se protéger contre l’insupportable ou l’inacceptable ? Nous parlions à l’époque de soins palliatifs de qualité…

Pour avoir accès à ce contenu et à des centaines d’autres articles, vous devez faire une demande d’inscription.

Je m’inscris

Si vous avez déjà un compte, connectez-vous à l’aide de ce formulaire.