Justice

Introduction

Sous l’impulsion de joseph Barthélemy, garde des Sceaux du maréchal Pétain, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants a fait l’objet d’une importante réforme, concrétisée par une loi du 27 juillet 1942, "relative à l’enfance délinquante". A la Libération, cette loi a été abrogée par l’ordonnance du 8 décembre 1944, additionnelle à celle du 9 août 1944, "sur le rétablissement de la légalité républicaine". Le 2 février 1945, une nouvelle ordonnance "relative à l’enfance délinquante" abrogeait à son tour et remplaçait la loi du 22 juillet 1912, ainsi que les textes l’ayant complétée ou modifiée2. Puis, une seconde, du 1er septembre 1945, créait, au sein de l’administration centrale du ministère de la justice, une direction de l’Éducation surveillée et supprimait la sous-direction correspondante relevant de l’Administration pénitentiaire.

 [1]

2 Notamment les lois du 22 février 1921, du 26 mars 1927 et du 30 mars 1928.

Ces ordonnances sont, selon Michel Chauvière, « d’abord une réponse conjoncturelle qui profite de la réaffirmation de l’indépendance du pouvoir judiciaire comme ouvre de libération nationale ». Leur objet serait, selon lui, de rétablir les prérogatives de la justice et de permettre au pouvoir judiciaire de regagner un peu d’autonomie, en dépit des avancées "unifiantes" de la neuropsychiatrie infantile. Cette interprétation mérite, à mon sens, l’épreuve d’un examen attentif des textes à la lumière du contexte et des circonstances qui ont présidé à leur production.

La période qui suivit la défaite de juin 1940 et celle qui suivit immédiatement la libération de la France en 1945 présentent en fait, du point de vue de la dynamique sociale, plus de points communs que ne le laissent supposer des évidences solidement enracinées.

L’invasion de juin 1940 est apparue aux Français comme un jugement de l’histoire, rendu à l’encontre de la IIIème République, de son "régime des palabres", de la corruption de ses institutions et d’un "parlementarisme flasque". Au lendemain de la défaite, tout le monde ou presque exulte devant le naufrage de la vieille bourgeoisie et répudie la IIIème République.
La victoire de 1945 apparaîtra aux Français également comme un jugement de l’histoire, rendu cette fois à l’encontre du "gouvernement de Vichy", des crimes qu’il a commis ou couverts de son autorité, et en faveur de l’héroïque "résistance" du peuple français. Les mêmes qui, quatre ans auparavant, approuvaient à une écrasante majorité l’armistice et la remise du pouvoir constituant entre les mains du Maréchal répudient globalement et sans bénéfice d’inventaire le régime qui en est résulté.

Dans ces situations, par soif de quelque chose de nouveau et de différent, une large majorité des Français se rallie à l’idée de construire immédiatement un nouveau régime et ceux qui accèdent au pouvoir prétendent réformer de fond en comble les institutions sociales du pays et les valeurs sur lesquelles elles se fondent.

Dans ces deux cas, une telle entreprise aura été menée dans les pires conditions qui soient. Dans un pays vaincu, désorganisé par la guerre, polarisé sur ses conflits intérieurs et occupé par une puissance étrangère, d’abord. Dans un pays détruit par les combats de la Libération, affamé et au bord de la guerre civile, ensuite.

Un regard en arrière fait apparaître le régime précédent comme définitivement discrédité. Or, sans passé récent pouvant constituer une référence acceptable et sans un consensus minimal quant aux institutions qu’il s’agit de mettre en place, on ne peut construire un système juridique ex nihilo et les tentations totalitaires sont fortes.

En 1940, alors que l’armée d’occupation se comporte encore de façon correcte, bon nombre d’intellectuels français, fascinés par le dynamisme de l’Allemagne, avaient été sensibles aux chants des sirènes de l’idéologie d’un national-socialisme qui n’avait pas encore montré son vrai visage.
En 1945, les intellectuels français adhèrent massivement ou sont conduits à se situer en référence à l’idéologie sociale très cohérente que diffuse un puissant Parti communiste, réhabilité par sa participation à la résistance contre l’occupant mais toujours au service d’un projet totalitaire, et qui, lui non plus, ne s’est pas encore pleinement dévoilé. Nombreux sont ceux qui se refusent à en voir le vrai visage.

C’est dans de telles circonstances, particulièrement favorables à la production, hors tout véritable débat démocratique, de lois qui dérogent aux principes de ce que nous avons coutume d’appeler un "État de droit", qu’ont été élaborés les textes qui fondent encore aujourd’hui l’action de notre justice des mineurs. Sous la pression d’intérêts corporatistes, des textes dérogatoires au droit commun sont finalement venus légitimer un ensemble institutionnel relativement autonome, qui se révèlera par la suite d’une efficacité désastreuse mais particulièrement difficile à réformer. Nous montrerons, à travers l’analyse des textes législatifs du 27 juillet 1942 et du 2 février 1945, en quoi ceux-ci portent la marque des circonstances qui ont présidé à leur élaboration.
La loi du 27 juillet 1942, relative à…

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