Hasevoets : Processus de deuil et enfance : les vicissitudes d’un chantier psychique

Processus de deuil et enfance : les vicissitudes d’un chantier psychique

Yves-Hiram Haesevoets

« Une troisième année vient de s’écouler et ton chagrin n’a rien perdu de sa prime virulence, il reprend vie et vigueur chaque jour et le temps l’a comme légitimé : il en est arrivé à trouver honteux de cesser. Tous les défauts s’incrustent si on ne les étouffe pas dès leur apparition ; de même, cet état de douloureuse mélancolie qui s’inflige les pires sévices, finit par se nourrir de sa propre amertume et la souffrance d’une âme malheureuse se mue en plaisir malsain. »

Sénèque, Consolation à Marcia

Introduction : le deuil, un concept universel

Concept universel et patrimoine commun de toute l’humanité, le deuil concerne tous les êtres humains, de tous les âges, issus de toutes les cultures et appartenants à toutes les catégories sociales. Le deuil, comme la mort est universel. Aucune société n’est parvenue à s’affranchir du fait que la mort est obligatoire pour tout être vivant, que le processus destructeur est intimement lié à la vie et qu’il en est aussi constitutif.

Même dans nos sociétés post modernes urbanisées qui ont presque évacué les rituels funéraires, certains comportements, certaines démarches ou habitudes se retrouvent quasi naturellement chez les endeuillés, les enfants en particuliers. Le caractère universel du deuil n’est pas sans rapport avec la souffrance psychique.

La souffrance reliée au processus de deuil est toute relative et certainement fonction de l’importance de l’attachement. La pénibilité et la douleur du deuil correspondent à un vécu émotionnel simplement signifié par la peine, l’affliction, le chagrin, les inhibitions et/ou les restrictions que l’endeuillé s’impose ou qui lui sont imposées par son état psychologique.

Malgré son universalité et contrairement à sa reconnaissance sociétale coutumière, les sentiments de deuil ne sont pas toujours manifestés, reconnus ou exprimés. Certains individus ne présentent pas ou semblent ne pas présenter des réactions de deuil. Faisant ainsi l’exception pour certains sujets, le processus de deuil n’est pas toujours nécessaire, voire absent de leur économie psychique. En faisant abstraction de la peine ou en refusant le deuil, probablement pour échapper à la douleur psychique, ces individus renoncent ou n’accèdent pas à une grande partie de leur être profond.

Et pourtant, le deuil est nécessaire à la fois pour pouvoir continuer de vivre, pour se séparer de l’être perdu ou aimé, tout en conservant des liens différents avec lui et enfin, pour retrouver sa liberté de fonctionnement psychique (Hanus, 2003). Tenter inconsciemment d’y échapper revient à s’engager sur la voie de complications diverses, voire psychopathologiques. Bien que toujours pénible et douloureux, le travail de deuil est non seulement nécessaire mais il est presque obligatoire pour le bien-être du psychisme humain. Universel, nécessaire, douloureux et exigeant, le travail de deuil s’inscrit dans la durée.

Toute société plus ou moins structurée, de la plus archaïque à la plus sophistiquée, en passant par les plus spirituelles ou les plus codifiées, a élaboré des règles et des rites faisant du deuil la pierre d’angle entre la vie et la mort, entre la fusion et la séparation, entre l’amour et la perte, entre Eros et Thanatos, entre la perte et l’attachement, entre la destruction et la construction. Chez l’être humain, le rapport dialectique entre le concept de « deuil » et celui de « mort » relève d’une totale ambiguïté qui implique une aspiration inconsciente d’immortalité et de déni, et une confrontation consciente à une réalité triviale, inéluctable et irréversible.

Le deuil est bien l’affaire de tout le monde, adultes et enfants. Au détour d’une ruelle, qui n’a pas croisé le visage angoissé d’un être aimé disparu ? Toutes ces histoires de fantômes ou de spiritisme, sont-elles des tentatives de compréhension de la mort ou des fictions hallucinatoires pour les vivants qui cherchent à renouer avec les disparus ? Comme cet enfant qui demande en voyant sa soeur sur son lit de mort comment elle sera lorsqu’elle sera grande. Ou encore, cette histoire de Freud à propos de ce garçon de dix ans dont il rapporte les propos : « ..., je comprends bien que mon père est mort, mais je ne peux pas comprendre pourquoi il ne rentre pas dîner ». La mort est une énigme que le processus de deuil tente de résoudre par un questionnement et une mise à l’épreuve psychique. Dans les situations de deuil compliqués ou pathologiques, comment l’endeuillé peut-il se protéger contre sa propre destruction ? L’endeuillé et la mort font parfois des parties de cache-cache interminables qui fabriquent le délire des mélancoliques, la souffrance du déprimé ou l’acting out du suicidaire. Comment dès lors soutenir une personne, un enfant en particulier, frappé par la mort d’un proche ?

Même si elle est comprise de manière différente selon les cultures et les religions, la mort signifie la disparition d’un être et sa perte dans le monde des vivants. La mort initie un travail de deuil qui réactive des conséquences associées à la perte et à la séparation. A toutes les époques de son évolution, l’homme a toujours été intrigué par la mort et la perte des êtres qui l’entourent. De nombreux penseurs ont essayé de comprendre le processus de deuil et la manière dont l’être se répare psychiquement après une perte. Dans l’Antiquité, les exhortations à la maîtrise de soi, les consolations en cas de deuil et autres circonstances malheureuses s’intègrent aux condoléances. Ainsi, dans ses Consolations, Sénèque pense qu’il est « conforme à la Nature de regretter d’avoir perdu les siens,... aussi longtemps que ce regret est mesuré. » (...) que « la séparation, et pas seulement la perte d’êtres très chers, fait inévitablement mal et serre les coeurs, même les plus endurcis. Mais il s’agit davantage de notre imagination que des prescriptions de la Nature. (...) La pauvreté, le chagrin occasionné par le deuil, le mépris, chacun les éprouve diversement, selon qu’il est plus ou moins corrompu par les habitudes et selon que le rend plus ou moins faible et sans courage…

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