Hasevoets : Considérations socio-anthropologiques et transculturelles sur les maltraitances

Depuis le Massacre des Innocents jusqu’aux affaires de pédophilie qui hantent les couloirs du Vatican aujourd’hui, la violence contre les enfants effectue un grand écart des plus périlleux. Cette maltraitance faite aux enfants (et aux femmes) correspond à l’émergence d’un symptôme sociétal bien plus profond que la délicate question des transactions psychopathologiques de familles à problèmes multiples.

Dans notre société en pleine mutation et de plus en plus multiculturelle, la maltraitance des enfants reste donc un problème grave, en termes d’hygiène mentale et de santé publique, mais également sur le plan de la morbidité. Les conséquences à moyen ou à long terme, qu’elles soient somatiques, relationnelles ou psychopathologiques en sont sévères. La maltraitance se retrouve dans tous les milieux et recouvre une signification quasi universelle, avec des particularités socioculturelles significatives.

Considérations socio-anthropologiques et transculturelles sur les maltraitances

Yves-Hiram Haesevoets

La « maltraitance » : une réalité historique, sociologique et universelle

Sans pour autant se révéler telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui, la maltraitance envers les enfants a toujours existé. Même si le concept est relativement récent dans son acception actuelle, la maltraitance des enfants n’est pas un phénomène sociologique ou historique nouveau. Tant au niveau social, psychologique, économique, culturel, politique que sociologique et anthropologique, cette problématique recouvre divers champs. Au plan statistique, elle concerne de nombreux enfants partout dans le monde et de toute condition socioéconomique ou culturelle. En matière de violence, il n’y aurait aucune « lutte de classe ». Sous ses expressions les plus diverses, la maltraitance des enfants se retrouve dans la plupart des milieux. Forme de violence à part entière, la maltraitance à l’égard des enfants reste un problème complexe, à la fois beaucoup trop fréquent, sévère et très difficile à gérer.

La violence envers les enfants existe partout et revêt des formes différentes : négligence affective, humiliations caractérisées, agressions émotionnelles, violence sexuelle et non sexuelle, violence intrafamiliale et extrafamiliale, exploitation à des fins commerciales, face à celle non-commerciale. Au plan sociologique, il va sans dire que la plupart de ces types de violence sont étroitement liés et qu’ensemble, ils constituent un enchevêtrement difficile à démêler.

La violence envers les enfants reste un tabou dans une société dominée par les adultes. Les définitions, les lois et les usages qui délimitent le problème, différent d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre. Dans de nombreux pays, le problème est tout simplement nié ou minimisé. La plupart des enfants naissent rarement égaux en droit. En fonction des différentes représentations socioculturelles, les enfants n’occupent pas toujours le même statut. Ils ne bénéficient pas non plus des mêmes niveaux de protection juridique. Dans certains contextes, la violence contre les enfants est parfois même ritualisée et incorporée aux habitudes socioéducatives. Même s’il existe quelques progrès, les connaissances scientifiques restent incomplètes et oblitèrent parfois l’apport de l’anthropologie sociale. Dans ce domaine précis, les résultats des recherches sont difficilement comparables en raison des différences sur le plan du contenu, de la méthode ou de la culture. En dehors de circonstances exceptionnelles, la pression sociale n’est pas suffisante pour considérer le problème comme prioritaire.

La communication sur le sujet est d’autant plus complexe qu’elle dépend des révélations des protagonistes concernés par la maltraitance. D’une part, les victimes s’expriment difficilement sur la problématique. Elles sont jeunes, faibles, vulnérables et non organisées. Elles subissent souvent la situation comme étant normale ou s’en accommodent dans la souffrance (syndrome d’accommodation) ; elles disposent de peu d’influence et de force pour changer la situation existante. Elles sont souvent liées émotionnellement et économiquement, et donc soumises psychologiquement à l’auteur (l’agresseur) dont elles sont dépendantes. D’autre part, les agresseurs quant à eux se figent dans une sorte de conspiration du silence, véritable mur d’indifférence. Peu empathiques, ils ne ressentent pas le même niveau de culpabilité que leurs victimes. Celles-ci portent ainsi la responsabilité de la maltraitance. Au plan pénal ou psychique, les agresseurs échappent parfois même à toute sanction. Depuis quelques années, la psychopathologie des abuseurs d’enfants fait l’objet de nombreuses études un peu partout dans le monde. Par le biais de ces recherches cliniques, nous comprenons mieux cette dialectique particulière qui s’articule comme un malentendu dans les rapports entre les enfants et certains adultes, cette fameuse « confusion de langues » dont parlait Ferenczi.

Variante sémantique et transculturelle du concept de maltraitance

Autre concept désignant la violence humaine, comme le fait d’abuser, d’exploiter, de dominer, de torturer, de châtier ou de « traiter mal » une personne, la maltraitance correspond à un néologisme de la langue française.

La maltraitance recouvre différentes significations et correspond à des registres sémantiques très variés qui évoluent à travers l’histoire de l’humanité : enfant martyr, battu, en danger de mort ou placé en situation de danger, négligence grave par omission, famille à risque, bébé secoué, cas extrême, torture et enfermement, violence institutionnelle, enfant esclave vendu ou à vendre, abandon, infanticide, enfant des rues, pédophilie, prostitution et pornographie enfantine, éducation rigide, perversion des relations entre enfants et adultes, abus de pouvoir, agression sexuelle, traumatisme, chosification chronique de l’enfant, victimisation, sévices, etc.

À l’ère de la mondialisation des échanges et des phénomènes migratoires, notre société est devenue pluri-culturelle. D’amont en aval, la vulnérabilité particulière des personnes exilées accentue probablement les processus de victimisation. Des pays d’origine aux pays d’accueil, les intervenants sont de plus en plus confrontés à des personnes issues de différents flux migratoires. Des familles entières se déplacent avec leurs enfants ou fuient des conflits. Des mineurs non accompagnés errent dans les rues des grandes villes. D’autres cherchent tout simplement refuge pour fuir la misère de leur vie. Issues de contextes socioculturels très variés, les familles migrantes souffrent de problématiques intimement liées à de la violence existentielle peu compatible avec la dignité humaine. À l’occasion, les valeurs et les droits que nous essayons de préserver sont bafoués par des coutumes ou des habitus que nous réprouvons.

Au plan socio-anthtropologique, certaines formes de maltraitance familiale recouvrent d’autres significations. Peu accessibles à notre champ de compréhension, certains éléments socioculturels nous échappent. Des maltraitances sont ainsi commises dans ces milieux à la fois différents et complexes, que nous entrecroisons par le prisme des mouvements migratoires. Le phénomène de l’exil nous confronte ainsi directement à des violences aussi diverses que le viol de guerre, les jeunes femmes traumatisées, les mutilations génitales, les crimes d’honneur commis sur des jeunes filles, les enfants soldats, les trafics d’enfants, les enfants déplacés, la prostitution des enfants allochtones, les rescapés des génocides, les enfants sorciers, la violence des adolescents issus de l’immigration, les enfants des rues, le travail forcé des enfants, les mineurs exilés non accompagnés, le…

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