Haesevoets : Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique

Les enfants de parents malades mentaux : de la parentification à la souffrance psychique

Yves-Hiram Haesevoets Ψ

Introduction : l’enfant mitigé au risque de la maladie mentale

La situation des enfants de parents malades mentaux est à la fois très complexe et variée. Voici l’occasion de faire le point sur un sujet délicat et méconnu, voire tabou. Le cancer, la sclérose en plaques, les pathologies psychiatriques ou infectieuses sont autant de maladies qui peuvent avoir des répercussions indirectes importantes auprès des enfants des personnes malades. Lorsqu’on envisage un problème pathologique chez un parent, il est rare de penser à la maladie mentale. On se réfère plus généralement à une affection chronique (une maladie physique, un cancer, une infection sévère ou un accident somatique), qu’à une affection psychiatrique, considérée encore aujourd’hui comme un tabou dans une société qui prône la normalité, la soumission à la règle et le conformisme.

Néanmoins, l’impact d’une maladie mentale d’un parent sur son enfant est d’autant plus considérable qu’elle n’est pas toujours diagnostiquée avec rigueur. Des intervenants et des associations s’en inquiètent et tentent d’apporter leur soutien à des enfants qui en ont concrètement besoin. Pourtant, peu d’écrits et d’études scientifiques existent à ce propos.

Très singulière, la destinée des enfants de parents malades mentaux (surtout psychotiques) connaît des développements très divers. Ainsi, le père fondateur de la « psychologie analytique », Carl Gustav Jung (1875-1961) a lui-même souffert d’une enfance difficile auprès d’une mère folle qui se disputait avec son père tout en faisant tourner les tables. Sujet à des syncopes, il était hanté par la vision qu’il avait eue en rêve d’un Dieu déversant ses excréments sur le sommet d’une cathédrale. Il dit un jour à Freud qu’ayant été victime enfant d’une agression sexuelle – un prête sans doute – il en avait conçu un dégoût des amitiés masculines. Sans renoncer ni au spiritisme ni à l’occultisme, Jung exerça à la clinique du Burghölzli de Zurich, sous la houlette d’Eugen Bleuler, inventeur des notions de schizophrénie et d’autisme. Dauphin de Freud de 1906 à 1913, il fut alors l’artisan d’une ouverture de la psychanalyse à la clinique de la folie, terre promise rêvée par Freud.

Dans une famille chaotique, perturbée ou enchevêtrée, les transactions psychopathologiques « contaminent » le développement et le fonctionnement psychiques de l’enfant. Au plan clinique, la notion de « délire à deux » est souvent décrite dans la littérature psychiatrique pour comprendre les mécanismes sous-jacents aux transactions intrafamiliales d’allure psychotique. Dans l’histoire de la psychiatrie, les premiers aliénistes français envisagent « la folie à deux » (personnages) comme la résultante d’une « aliénation familiale », d’un « mythe » ou d’un « délire familial ». Transposé par les systémiciens, ce concept nous permet aujourd’hui de mieux appréhender une certaine réalité du vécu de ces enfants et des transactions particulières qu’ils subissent.

Lorsqu’un enfant mineur doit faire face à la maladie d’un parent, les rôles s’inversent ou se transforment. Vivre avec un parent malade mental (ou des parents malades mentaux) est loin d’être une sinécure pour l’enfant. De manière souvent précoce, ce dernier s’interroge sur le normal et le pathologique. C’est souvent avec beaucoup d’anxiété (et donc de manière très problématique) que l’enfant s’identifie à son parent malade et essaye de le comprendre. Aux côtés d’un parent psychotique qui souffre de crises paranoïaques ou de dépression grave, certains enfants vivent un véritable enfer ou subissent des mauvais traitements physiques et/ou psychologiques. D’autres remplissent un véritable rôle thérapeutique ou contra-phobique, jusqu’à diminuer les angoisses qui envahissent le psychisme de leur parent. Autrement dit, ils prennent sur eux. Quelques-uns se « parentifient » et deviennent le relais social avec l’extérieur. Selon les vicissitudes de l’existence et la nature des transactions intrafamiliales, des enfants décompensent et « portent » à leur tour la maladie de leur parent. Dans certains contextes plus psychopathologiques où les transactions intrafamiliales sont très perturbées, voire chaotiques, perverses et/ou délirantes, l’enfant peut devenir « patient désigné » et/ou « malade » par procuration.

L’enfant ne participe pas toujours aux délires de persécution ou aux « bizarreries » de son parent malade. Il peut être vecteur de réalité pour un parent qui justement ne trouve plus ses repères et se sent coupé du réel. Dans de nombreuses situations et presqu’à l’insu de son plein gré, le « protégé » devient aussi « protecteur », « thérapeute » ou « aidant ». L’enfant ou l’adolescent doit alors prendre des responsabilités qui ne sont pas de son âge, dans un contexte psychologique particulier.

Combien d’enfants doivent endosser des responsabilités matérielles et psychologiques importantes du fait de la maladie d’un proche ? Cette question, largement débattue dans les pays anglo-saxons, ne semble pas avoir fait l’objet d’études approfondies en Belgique ou en France. Nul doute pourtant que l’augmentation du nombre de familles monoparentales et la réduction des durées d’hospitalisations (même psychiatriques) accentuent encore ce phénomène. Les…

Pour avoir accès à ce contenu et à des centaines d’autres articles, vous devez faire une demande d’inscription.

Je m’inscris

Si vous avez déjà un compte, connectez-vous à l’aide de ce formulaire.