DESSOY : CROYANCES ET DOUBLE LIEN VERS UNE TRIPLE CONTRAINTE

Article paru dans la revue Thérapie familiale, Genève, 1998, vol. XIX, n°4.

L’idée de double lien a sa source en Nouvelle Guinée où l’anthropologue Bateson décrit, dans les années trente, la “ Cérémonie du Naven” chez les Iathmult (5). L’ouvrage définit les concepts d’ethos, d’eidos et de schismogenèse symétrique et complémentaire et il établit la manière originale dont l’auteur conçoit la création, le maintien et la transformation d’une culture. Parmi les documents photographiques recueillis à cette époque à Bali, il en est un qui montre l’enchaînement de comportements et d’affects entre une mère et son jeune garçon ; le commentaire apprend que les photos illustrent la manière dont on éduque les enfants à ne pas éprouver de fortes émotions (36). L’attitude pédagogique de la mère [1] pourrait déjà s’analyser comme un double lien à vocation culturelle même si le concept ne sera inventé que bien plus tard. La protohistoire du double lien, qui recouvre la période où Bateson est anthropologue en Nouvelle Guinée, souligne combien le processus s’immerge dans la culture en s’inscrivant résolument dans l’ethos de la communauté. Notre précédent article, “Ambiance et double lien ” (19), corrobore ce fait puisqu’il désigne l’éthique et l’ambiance (l’ethos de Bateson) comme les moteurs directs du double lien.

Depuis 1956, les thérapeutes repèrent le double lien et tentent de l’éradiquer [2] . En Europe, l’équipe Milanaise de Mara Selvini [3] La Ferme du Soleil est une institution pour enfants autistes, psychotiques et borderlines où nous avons mené une partie de nos recherches. est l’une des premières à proposer des réponses étonnantes au problème et elle les décrit dans l’ouvrage “ Paradosso e contro-paradosso ” (33). L’approche selvinienne de la famille du jeune schizophrène nous parut tellement intéressante que nous avons fait traduire l’ouvrage en français à la Ferme du Soleil [4]. Nous sommes en 1975, notre jeune équipe [5] s’initie à la systémique par des supervisions à Milan et, pendant deux ans, elle s’efforce d’appliquer les méthodes de M. Selvini. Hélas, nos résultats sont loin de réaliser nos espérances et nous mesurons la distance qui sépare les familles en demande et en crise que reçoit M. Selvini, des nôtres qui ont institutionnalisé l’enfant, [6] qui ne vivent pas de crise et n’ont pas de demande, hormis celle de soigner l’enfant [7]. Etions-nous de si piètres thérapeutes ou le modèle selvinien, directement inspiré de la pragmatique de la communication, ne tenait-il pas suffisamment compte de ce que, par ailleurs, nous ne cessions d’observer : d’une part, des modalités très particulières de prendre contact dans l’ambiance et, d’autre part, des mythes, des représentations, des idéologies, des valeurs, en un mot, un monde qui se réfère à la sphère des croyances familiales ? Sans doute, notre inexpérience et le parti pris de la pragmatique expliquent qu’après deux ans d’efforts déçus, notre équipe se distancia de cette méthode et lança une recherche-action qui tint compte de nos propres observations. Bien nous en pris car environ quinze ans plus tard, M. Selvini reconnut très honnêtement s’être trompée ; plusieurs cas traités dans “ Paradoxes et contre-paradoxes ” n’avaient pas abouti aux changements escomptés (34).
Quand on sait que l’idée de double lien a été créée à partir de matériaux anthropologiques, par quelqu’un qui tente de cerner la culture des communautés qu’il étudie, quand on sait que Bateson pensait le double lien comme une modification de la structure contextuelle totale de la communauté - le double lien n’étant, selon ses mots, que le sommet de l’iceberg - nous nous étonnons moins du peu de résultats que nous obtenions dans nos efforts pour annihiler le processus quand il est traité simplement comme un mécanisme communicationnel et cybernétique où l’idée de…

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