Bowen : L’emploi de la théorie familiale dans la pratique clinique

 [1]

Par Murray BOWEN

En un peu moins de 10 ans, la psychiatrie familiale, jusqu’alors relativement méconnue, a atteint une importance reconnue dans le monde psychiatrique.

Le terme de thérapie familiale ou d’autres plus ou moins similaires sont connus des non- professionnels. Quelle est l’origine et quel est le statut actuel du mouvement familial ? Je crois que c’est bien d’un mouvement que j’essayerai de donner une idée dans cet article. Puisque, même parmi les protagonistes du mouvement familial, il y a des divergences à propos des points critiques, théoriques et thérapeutiques, toute tentative pour expliquer ou décrire le mouvement familial représentera la tendance et le point de vue de l’auteur.

Dans cet article, je présenterai quelques-unes de mes idées à propos des circonstances qui ont donné un essor au mouvement familial et quelques idées à propos du statut actuel et des potentialités futures de ce mouvement. Le corps de l’article sera une présentation de mes propres orientations théoriques qui offrent un plan de base pour l’emploi clinique de la thérapie familiale.

Je crois que le mouvement familial a commencé au début et au milieu des années cinquante et qu’il est sorti de l’effort qui fut fait pour trouver des méthodes de traitement plus efficaces en ce qui concerne les problèmes émotionnels les plus sérieux. Au sens large, je crois qu’il se développa comme une extension de la psychanalyse, qui avait enfin achevé de se faire accepter comme une méthode de traitement pendant les années 1930.

La psychanalyse fournit des concepts utiles et des procédés pour les besoins massifs de la seconde guerre mondiale ; une nouvelle ère commença en psychiatrie.

En quelques années, la psychiatrie devint une spécialité pleine d’espoir et de promesses pour des milliers de jeunes médecins. Les membres de l’Association Psychiatrique américaine passèrent de 3.684 en 1945 à 8.534 en 1955. La théorie psychanalytique fournit des explications pour toute la gamme des problèmes émotionnels, mais les techniques psychanalytiques standardisées se montrèrent inefficaces pour les problèmes émotionnels les plus graves. D’ardents jeunes psychiatres commencèrent à expérimenter des méthodes de traitement nombreuses et variées. Je crois que l’étude de la famille fut l’une de ces nouvelles sphères d’intérêt.

Certains disent que le mouvement familial n’est pas nouveau et qu’il remonte à vingt-cinq ans ou plus. Il y a quelques bonnes preuves pour étayer la thèse qui veut que l’accent actuel sur la famille se développa lentement au moment où les plus anciennes formulations psychanalytiques à propos de la famille étaient mises en pratique dans la clinique.

En 1909, Freud rend compte du traitement du « petit Hans » (1) auquel il travaille avec le père plutôt qu’avec l’enfant.
En 1921, Flugel publie son livre bien connu « l’Etude Psychanalytique de la Famille » (2).

Il y eu le développement de l’analyse d’enfant et le début du mouvement de guidance infantile dans laquelle il devint classique qu’un travailleur social ou un second thérapeute travaille avec les parents en complément de la psychothérapie principale avec l’enfant.

Plus tard, les principes de la guidance d’enfant furent adaptés au travail avec les adultes, aussi bien dans les établissements pour patients internes que ceux pour externes ; un travailleur social ou un second thérapeute travaillait avec les proches pour seconder la psychothérapie principale, celle du patient.

Cette conscience précoce théorique et clinique à propos de l’importance de la famille justifie l’affirmation selon laquelle la formule n’est pas une nouveauté. Cependant je crois que l’orientation familiale actuelle est suffisamment importante, nouvelle et différente pour être vue comme un mouvement. Je passerai en revue quelques-unes des questions théoriques et cliniques qui semblent importantes dans ce mouvement.

La théorie psychanalytique fut formulée à partir d’une étude détaillée du patient individuel. Les concepts à propos de la famille furent tirés davantage des perceptions des patients que de l’observation directe de la famille. Du fait de cette position, tout était centré sur le patient et la famille était en dehors du champ immédiat des intérêts théoriques et thérapeutiques. La théorie individuelle fut construite sur un modèle médical, avec des concepts d’étiologie, le diagnostic de pathologie chez le patient et le traitement de la maladie chez l’individu. Aussi inhérentes au modèle, se retrouvent les subtiles implications suivantes : à savoir que le patient est la victime sans défense de la maladie ou de forces hostiles qu’il ne peut contrôler.

Un dilemme conceptuel fut posé quand la personne la plus importante dans la vie du patient fut considérée comme la cause de la maladie de celui-ci et comme un élément pathologique pour lui. Les psychiatres savaient que ce principe n’ était pas tout à fait vrai et il y eut des essais pour adoucir la rigueur des concepts, mais le modèle de base demeura. Par exemple, le concept d’inconscient postulait que les parents pourraient être inconsciemment nuisibles, alors qu’ils essayent d’aider leur enfant. Cela était différent de ce qu’aurait été un préjudice intentionnel ou un acte d’omission irresponsable, mais dans cette conception, le parent était encore considéré comme pathogène. On fit des efforts pour modifier les catégories diagnostiques et on suggéra même que, celles-ci soient supprimées, mais un patient exige un diagnostic pour sa maladie et la psychiatrie procède encore avec un modèle médical.

Un des…

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